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8. David Jaffe

8.1. May your children be acrobats (1981)

Cette œuvre pour huit guitares, soprano et bande générée par ordinateur, est une célébration de la sagesse populaire aussi bien que de la sottise. Elle a été commandée et jouée pour la première fois, en 1980, par David Starobin et le " Purchase Guitar Ensemble ". Le texte est extrait de The people, Yes de Carl Sandburg (voir Figure 55) et consiste en un ensemble de proverbes, paroles et anecdotes provenant d'immigrants, autochtones, idiots, et autres Américains, riches ou d'autres milieux. Accompagnant ce texte, la musique est hétérogène et s'étend du bluegrass, des styles irlandais, juifs ou afro-américains, jusqu'au style populaire américain voire au style classique européen.

La partie informatique a été créée au CCRMA de Stanford et utilise une synthèse sonore basée sur la technique des guides d'ondes. Les sons de cordes pincées obtenus sont reconnaissables par leur aspect parfois très métallique, mais ils sont à d'autres instants très proches des sonorités douces des guitares.

May All Your Children Be Acrobats
for mezzo-soprano, eight guitars and computer-generated tape
text from " The People, YES " by Carl Sandburg
from the complete poems of Carl Sandburg, copyright 1950 by Carl Sandhurg and renewed 1978 by Margaret Sandburg, Helga Sandburg Crile, anci Janet Sandburg, used by perfilission of Harcourt Brace Jovanovich, Inc.)
excerpted and assembled by David A. Jaffe

I.

The People, YES!
They have their proverbs, old and new.

II.

We'll see what we'll see.
Time is a great teacher.
Today me and tomorrow maybe you.
Even if your stomach be strong, eat as few cockroaches as possible.

III.

What is bred in the bone will tell.
Between the inbreeds and the crossbreeds the argument goes on.
You can breed them up as easy as you can them down.
" I don't know who my ancestors were, " said a mongrel, " but we've been descending for a long time. "
" My ancestors ", said the Cherokee-blooded Oklahoman,
" didn't come over on the Mayflower but we were there to meet the boat! "
" Why, " said the Denver Irish policeman as he arrested a Pawnee Indian I.W.W. soap-boxer, " why don't you go back to where you came from?! "

IV.

Wedlock is padlock.
We all belong to one big family and have the same smell.
A wife is not a guitar you hang on the wall after playing it.
Take a good look at the mother before getting tied up with the daughter.
Let a mother be ever so bad she wishes her daughter to be good.
The man hardly ever marries the woman he jokes about:
she often marries the man she laughs at.
Keep your eyes open before marriage, half-shut afterwards.

V.

Blue eyes say love me or I'll die.
Black eyes say love me or I'll kilI you.
Wash a dog, comb a dog, still a dog.

VI.

You don't know enough to come in wben it rains.
You don't know beans when the bag is open.
You don't know enough to pound sound into a rat hole.
The white man drew a small circle in the sand and told the red man, " This is what the Indian knows, " and drawing a big circle around the
small one, " This is what the white man knows. " The Indian took the stick and swept an immense ring around both circles: " This is where the white man and the red man know nothing. "

All I know is what l hear.
All I know is what I read in the papers.
All I know you can put in a thimble.
All I know I keep forgetting.

VII.

We have to eat don't we?
You can't eat promises can you?
Yon can't eat the Constitution can you?
I can eat crow but I don 't hanker after it

VIII.

Out of the roots of the earth,
Out of dirt, barns, workshops, timetables,
Out of lumberjack payday jamborees,
Out of joybells and headaches the day after,
Out of births, weddings, accidents,
Out of wars, laws, promises, betrayals,
Out of mists of the lost and anonymous,
Out of plain living, early rising and spare belongings:

YES!

    They...

An expert is only a damn fool a long way from home.
You're either a thoroughbred, a scrub, or an in-between.
Speed is boni with the foal-sometimes.

They have...

Always some dark horse nover heard of before is coming under the wire a winner.
A thoroughbred always wins against a scrub, though you never know for sure : even thoroughbreds have their off days : new blood tells : the worn out thoroughbreds lose to the fast young scrubs.

They have their...

The big fish eat te little fish, the little fish eat shrimps and the shrimps eat mud.

proverbs, old and new!

IX.

The best preacher is the heart.
The best teacher is time.
The best book is the world.
The best friend is... [God].

Figure 55 : Texte de May all your children be acrobats.

8.2. Telegram to the president (1984)

Telegram to the president est une œuvre épigrammatique commandée par le Kronos Quartet et possèdent la forme d'un prélude et fugue avec coda. Dans le prélude, l'ordinateur est mis en avant à la manière d'un soliste imaginaire, alors que dans la fugue l'attention est fixée sur le quartet. David Jaffe remarque que ce n'est pas la première fois qu'il fait allusion dans ses œuvres à ses opinions politiques et sociales :

" Time and time again, I have found myself drawn to musical reflection on political and social issues. Telegram was written in bitter disappointment in the 1984 re-electon of Ronald Reagan by a complacent American public. Yet in contrast to this tone of indictment, the content of the telegram is a message of hope, a gentle faith in the contituing vitality of the grass roots American spirit.163 "

Le texte du télégramme est tiré d'un poème de Langston Hugues datant de 1933 :

…Oh, let America be America again
The land that never was
And yet must be
The land where every man is free.
…Oh yes! I say it plain.
Amerrca never was America to me
And yet I swear this oath
America will be!

La partie synthétique jouée par l'ordinateur est basée sur une synthèse de corde pincée développée par l'auteur en collaboration avec Julius Smith, Kevin Karplus et Alex Strong. Cette technique a été réalisée au CCRMA de l'université de Stanford grâce au Systems Concepts Digital Synthesizer. Les cordes pincées électroniques font preuve d'une virtuosité inégalable par les instruments réels. Les pincements se fondent par moments en séries d'impulsions très serrées qui forment une sorte de frottement granulaire, pendant de la sonorité du quatuor.

8.3. Sillicon Valley Breakdown (1982)

Silicon Valley Breakdown, composé en 1982 et révisé en 1993, présente une symphonie d'instruments imaginaires entièrement synthétisée par ordinateur. Cet orchestre électronique est souvent divisé en quatre ensembles plus petits, possédant chacun leur propre caractère et qualité sonore. L'enregistrement proposé et une version stéréo de l'œuvre quadriphonique originale. La pièce débute sur une musique " bluegrass " en opposition avec un matériel chromatique et abstrait. Progressivement, les deux styles échangent leurs attributs, le rythme solide du bluegrass se fracture alors que le matériel abstrait adopte l'harmonie de cette musique country. Les deux matériaux finissent par fusionner en un ensemble cohérent durant le final pour repartir finalement dans des directions opposées.

L'œuvre réalise une démonstration surprenante des possibilités de l'algorithme de Karplus / Strong. De nombreux types d'instruments sont reconnaissables : guitares de toutes les tailles, toutes les formes et associées à n'importe quelle amplification, banjos, basses électriques, mandolines et même un ukulele. Tous les types d'effets et nuances sont exécutés : glissando, trilles, liaisons, différents types de pizzicati ou pincements avec changement de pression, position ou rigidité, variations de tension des cordes ou de position des frettes, degré de vibration par sympathie des autres cordes, etc.

Le titre se réfère à un classique du style bluegrass, " Shenandoah Valley Breakdown " et illustre l'explosion rythmique complexe qui caractérise l'œuvre. L'ordinateur contrôle le rythme et l'exécution musicale d'une manière irréalisable par des instrumentistes humains. La simulation étend les possibilités traditionnelles d'imitations contrapuntiques en permettant de produire des canons " élastiques ", dans lesquels les voix démarrent ensemble, divergent en tempo et se retrouvent éventuellement parfaitement synchronisées. La synthèse a été réalisée par la technique des guides d'ondes au CCRMA de Stanford, grâce au Systems Concept Digital Synthetizer. La technique utilise une grande variété de filtres et de méthodes de modulations pour brouiller les limites entre la résonance des cordes et la réverbération, entre l'instrument et l'espace. L'œuvre a été présentée pour la première fois à la Biennale de Venise et a été exécutée dans vingt autres pays.

8.4. Grass (1988)

Grass, pour trois voix de femmes et bande, est construite sur le thème de la guérison et plus précisément, sur le thème de la cicatrisation des souffrances et blessures de guerre. Cette œuvre a été commandée, grâce à un don de Lincoln et Gloria Ladd, à l'intention du chœur du Collège Skidmore. La pièce est basée sur le poème Grass de Carl Sandburg :

Pile the bodies high at Austerlitz and Waterloo.
Shovel them under and let me work
-I am the grass; I cover all.
And pile them high at Gettysburg
And pile them high at Ypres and Verdun.
Shovel them under and let me work.
Two years, ten years, and passengers ask the conductor :

What place is this ?
Where are we now ?
I am the grass.
Let me work.

La partie enregistrée sur la bande est totalement synthétique et utilise une technique de synthèse des cordes développée par l'auteur, en collaboration avec Julius Smith, Kevin Karplus et Alex Strong. Les sons de cordes pincées, brefs, oscillent entre un aspect habituel et une sonorité plus métallique et percussive, entre ces deux extrêmes, de nombreux états intermédiaires interviennent au cours de l'œuvre. Quelques sons de cordes frottées sont reconnaissables bien que leur aspect soit étrange. La partie électroacoustique utilise également un réseau de réverbération en guides d'ondes variant en temps réel, système créé par Julius Smith. La pièce a été exécutée sur le Systems Concepts Digital Synthesizer au CCRMA de l'université de Stanford en 1987.

L'enregistrement de l'œuvre proposé à été réalisé pendant un concert dans des conditions non-professionnelles, le lecteur excusera donc sa qualité moyenne.