<< Les cornets gauchers

4.1. Esthétique / pratique

Comme le fait remarquer John McCann (voir paragraphe 1.2.2.), il faut se méfier des représentations de cornets gauchers qui sont sûrement dues à des considérations esthétiques. Cependant, comme il le fait également remarquer, la grande proportion d'instruments gauchers existants pose une intéressante question. Les cornets gauchers du musée de la musique proviennent tous d'Italie au 17eme siècle... On peut, peut-être, l'expliquer par le fait qu'en Italie les compositeurs utilisaient beaucoup les doubles, quadruples,... chœurs. Ces chœurs étaient placés dans des tribunes séparées qui se faisaient face, alors qu’en Allemagne, les doubles chœurs étaient fondus en un seul ensemble. Dans l'iconographie, les cornets des chœurs de chaque tribune, sont tournés vers le public. Pour les cérémonies, si ce souci esthétique de symétrie avaient été respecté, des cornets gauchers auraient été nécessaires pour faire le pendant des cornets courbés à droite.

Joueurs d'Olifants, Utrecht Psalter, ca. 830 (bibliothèque de l'université d'Utrecht) extrait de Friend Robert Overton, Der Zink, Geschichte, Bauweise und Spieltechnik eines historischen Musikinstruments :



Le roi David et ses musicien, 16ème siècle(?) (Amandiskirche, Urach) extrait de Friend Robert Overton, Der Zink, Geschichte, Bauweise und Spieltechnik eines historischen Musikinstruments :

Sur ces deux représentations, le souci de symétrie est évident. Les musiciens du roi David, sont tournés vers l'observateur mais les pavillons de leurs cornets sont dirigés vers le roi qui assiste au concert.

" Voilà une idée très intéressante, que la direction des cornets soit déterminée par les caractéristiques du lieu. Notez que, d’un point de vue strictement acoustique, les caractéristiques directionnelle du cornet (comme de tous les instruments à vent) varient avec la note jouée ; la direction du pavillon n’est vraiment déterminante que lorsque tous les trous sont fermés. Mais peu importe : il suffirait que l’on ait cru que la direction du pavillon était importante pour qu’on en tienne compte. Notez aussi qu’il n’est pas nécessaire de supposer des doubles chœurs séparés : il eu suffit d’un jubé latéral ou d’un tribune latérale pour suggéré, peut-être, des cornets d’un sens ou de l’autre. "
Nicolas Meeus (musiSorbonne@cines.fr)

La recherche esthétique dans la disposition des musiciens semble venir des peintres et graveurs mais, confortée par des témoignages d’époque, il semble qu’elle ait existé dans les manifestations musicales des 16ème et 17ème siècles. Comme le signale Nicolas Meeus, il est possible que les musiciens aient pensé que le son de chaque cornet devait aller dans la même direction pour ne pas créer un déséquilibre, ce qui leur aurait donné une raison supplémentaire d'utiliser des cornets gauchers. Ajouté à la recherche d'une symétrie élégante, cette volonté d'équilibre sonore aurait pu amener à imposer un instrument à un musicien qui auraient du se débrouiller avec, quitte à contredire la courbure de l'instrument par la position de ses mains. Une recherche plus poussée pourrait permettre de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse. Peut être que les chapelles possédaient des paires de cornets symétriques ou que les facteurs recevaient ce genre de commandes...

Les témoignages sont nombreux qui permettent de penser qu'un usage des doubles chœurs, avec un cornet dans chaque, étaient fréquents :

" Giovanni Gabrieli, compositeur vénitien de la fin du XVIe siècle, utilise le trombone en quatuor (un alto, deux ténors, une basse) ou dans ses doubles chœurs : dans le premier chœur, aux côtés des ténors et des basses, se joignent le plus souvent un trombone, un cornet, une viole ; tandis que dans le deuxième chœur, alti et soprani sont soutenus par un cornet, un trombone ténor et un trombone basse. "
Philippe Girault, professeur au CNR d'Anger, mémoire sur l'histoire des trombonistes, l'enseignement du trombone, et les origines socio-culturelles des trombonistes

Dans La musique en Loraine de A.Jacquot, les gravures de Claude de La Ruelle, représentant la cérémonie d'enterrement de Charles III dans la collégiale St Georges, montrent des cornets situés dans des tribunes à gauche et à droite du chœur et dont tous les pavillons sont tournés vers l'observateur. Le commentaire précise que sur la gauche, dans la "Tribune située au jubé de l'église.", il y a des "chantres de la chapelle ducale au nombre de trente personnes, tant en voix (20) que joueurs de cornetz (5), gros haultz-bois (2), et sacboutes (2)." et que "la dernière tribune est celle qui se trouvait à droite du chœur ; on voit les chanteurs tenant leurs livres de musique en mains : trois joueurs de cornet à bouquin, un joueur de saqueboute et un joueur de haut-bois". Sur ces gravures on voit que les cornettistes vont jusqu'à contredire la courbure de leur instrument comme si on le leur avait imposé. Et quelle meilleure raison que le soucis de tourner les pavillons des cornets à bouquin vers le public pourrait expliquer le fait qu'on puisse leur imposer un instrument courbé dans un certain sens ?

Gravures de Claude de La Ruelle, visibles dans La musique en Loraine de A.Jacquot (fig. 17 et 19) :

Dans Venecian instrumental Music from Gabrielli to Vivaldi de Eleanor Selfbridge Field, on peut lire différents passages qui confirment que les tribunes étaient utilisées pour les chœurs et que des cornets pouvaient parfois se mélanger aux chanteurs :

" Some of their playing probably had the purpose of reinforcing vocal parts or of substituting for absent singers*
*Besides being used in concerted motets, instruments were evidently used as substitutes for voices in vocal works. In Padua, in 1600, for exemple, it was decreed that an absent basss should be replaced by a trombone and an absent soprano by a cornett (F.Caffi, "Appunti per aggiunte a Musica Sacra", Bilboteca nazionale Marciana, Cod It. IV.762 [=10467], f.183) "

" The placement of performers in the Basilica is a rather more complicated than most accounts indicate. The famous dual choir lofts stand above smaller lateral boxes apparently occupied by the choir for daily a cappella masses. "

" At Christmass (and probably at Easter) mass was sung by four choirs*.
*A.T.L. de Saint Didier, La ville et la république di Venice, Paris, 1680, p48. "

" Certains de ces instruments avaient pour but de renforcer les parties vocales ou de se substituer aux chanteurs absents*
*En plus d'être utilisés dans les motets concertants, les instruments étaient évidemment utilisés comme substituts des voix dans les œuvres vocales. A Padoue, en 1600, par exemple, il était décrété qu'une basse absente devait être remplacée par un trombone, un soprano par un cornet (F.Caffi, "Appunti per aggiunte a Musica Sacra", Bilboteca nazionale Marciana, Cod It. IV.762 [=10467], f.183) "

" Le placement des musiciens dans la Basilique est un peu plus complexe que la plupart des écrits l'indiquent. La célèbre double tribune de chœur se tient près de loges latérales plus petites occupées par le chœur pour les messes a cappella journalières. "

" A Noël (et probalement à Paques) la messe était chantée à 4 chœur*.
*A.T.L. de Saint Didier, La ville et la république di Venice, Paris, 1680, p48. "

Et l'auteur ajoute que quand Dalla Casa, lui-même cornettiste, était chef de chœur, jusqu'à 1610):

" At San Marco the first effort towards the establishment of an orchestra (althrough it was probably not viewed as such) occured in 1568, when the procurators hired Girolamo Dalla Casa (detto da Udine; c.1543-1610) to give concerts with his two brothers and other musicians in the organ lofts. "

" A Saint Marc, le premier effort pour l'établissement d'un orchestre (même s'il n'était probablement pas considéré comme tel) se manifeste en 1568, quand les fondés de pouvoir ont embauché Girolamo Dalla Casa (detto da Udine; c.1543-1610) pour donner des concerts avec ses deux frêres dans les tribunes d'orgue. "

Dans Vespers at St Mark's : Music of Alessandro Grandi, Giovanni Rovetta and Francesco Cavalli, Moore, James H. surenchérit en affirmant :

" Three principal sites for music-making are mentioned in the documents from St Mark's : the choir lofts above the chapels of St Peter and St Clément ; the 'nicchies'* into which the small 'organett' were moved on certain feasts, which are located next to the choir lofts and adjacent to the rood screen which separates the altar area from the rest of the church ; and an octogonal platform known as the 'bigonzo or 'tub', which was located on the floor of the church across from the double-tiered pulpit from which the Gospel and Epistle were sung.
*The little balcony in the arch just below it would also have been used. "

" Trois principaux sites pour les exécutions musicales sont mentionnés dans des documents provenants de St Marc : les tribunes près de la chapelle de St Pierre et St Clément ; les 'nicchies'* dans lesquelles les petits 'organett' étaient déplacés pour certaines fêtes, lesquelles sont placées après les tribunes des chœurs et adjacentes à la croisée qui sépare le chœur du reste de l'église ; et une plateforme octogonale connue comme 'bigonzo ou 'tube', laquelle était placée sur le sol de l'église près du double pupitre à gradins sur lequel le Gospel et les Epitres étaient chantés.
*Le petit balcon dans l'arche juste en dessous était aussi utilisé. "

H.Prunières, dans Francesco Cavalli et l'Opéra Vénicien au XVIIeme siècle confirme que l'usage des cornets dans les tribunes séparées était effectif :

" Avant de quitter Venise, il (Cavalli) eu l'occasion de servir la France en composant la musique d'un Te Deum et d'une Messe qui furent chantés en grande pompe en l'Eglise SS Zanipolo, pour célébrer la conclusion de la Paix. L'Ambassadeur en France qui ordonnait cette cérémonie, rapporte que cette musique était composée de deux chœurs différents sur des Palques ou tribunes portatives, composées de trente voix des meilleures de la Chapelle St Marc et de celles des plus célèbres musiciens qui sont venus ici pour chanter dans les opéras ce Carnaval et de quinze instruments : violes, violons, cornets et certaines trompettes ajustées à la musique. De l'ordre de M. Cavalli le premier homme d'Italie dans son art. "