<< Les cornets gauchers

1.2. Deux instruments, gaucher ou droitier

Si les instruments symétriques sont d'une facilité d'utilisation égale pour les gauchers et les droitiers, il n'en est pas de même dès que la courbure est horizontale. Dans ce cas les instruments gauchers étaient-ils fabriqués pour permettre aux gauchers d'avoir une position inversée des mains sans pour autant être handicapés par la courbure de l'instrument ? Afin de mieux cerner le problème, je me suis interrogée sur les usages possibles de chaque type d'instrument, c'est à dire les positions qui permettent de jouer sans trop d'inconfort, sans me préoccuper des usages réels qui en sont faits.

" Dans quelle mesure ce problème est-il lié à la taille (donc à la tessiture) des cornets ? Il me semble que si l'échange des mains est possible sur un petit cornet, d’ailleurs souvent peu courbé, le problème devient plus aigu pour les plus grandes tailles. "
Nicolas Meeus (musiSorbonne@cines.fr)

1.2.1. Gros instruments et cornets à double courbure

Dans le cas des instruments de grande taille, la position des mains de l'instrumentiste ne peut pas être inversée car elle serait trop inconfortable pour pouvoir jouer. Il en est de même pour les instruments à double courbure où l'instrumentiste est contraint de s'adapter à l'instrument.

Deux instruments conservés au musée de la cité de la musique :
Un cornet basse courbé horizontalement (16e) dont la taille ne semble pas permettre une inversion des mains (à gauche), et un cornet basse courbé horizontalement (16e), présentant plusieurs clefs et dont la taille, la courbure et les différentes clefs excluent toute possibilité d'inversion de mains (à droite) :


Mais, il est surprenant dans ce cas de constater que des cornets ténor courbés horizontalement (17ème) peuvent présenter une clef double. Que cette clef symétrique soit prévue pour permettre une inversion des mains parait improbable car la taille et la double courbure de l'instrument s'y opposent. Il semble plus logique de considérer cette symétrie comme un élément purement décoratif.
Ces clefs étant fabriquées pour des instruments droits, ou à courbure horizontale ou verticales, nous pouvons également supposer que l'ouvrier chargé de fabriquer les clefs réalisait un seul modèle utilisable dans tous les cas sans se soucier si la double patte était utile ou non (voir images du chapitre 1.1).

Un cornet ténor, conservé au Metropolitan Museum of Art de New York, courbé horizontalement (16e ?) et ayant lui aussi une clef double. Ici la faible courbure de l'instrument rend peut être possible une inversion des mains :

Dans l'Harmonicorum Libri XII ou Harmonie Universelle (1636) de Mersenne, on peut voir deux gravures ou figurent deux tailles de cornets ou cornets ténors, l'un courbé à gauche et l'autre à droite. Aucune explication n'est fournie quant au pourquoi de cette courbure. Sans doute, la difficulté d'inverser les mains sur un instrument de cette taille justifie la nécessité de fabriquer un instrument différent pour les musiciens qui inversent les mains. Nous pouvons remarquer que les deux cornets représentés sont munis d'une clef à double patte symétrique dont l'origine est sûrement, une fois de plus, décorative ou pratique car l'inversion des mains sur un instrument de cette taille semble difficile.

Pages extraites de Harmonicorum Libri XII (p.98-99) ou Harmonie Universelle de Mersenne :

1.2.2. Instruments à simple courbure, alto et soprano (440 Hz) : position inversée inconfortable mais possible

Sur les instruments de taille moyenne à simple courbure, les mains peuvent être inversées mais la position est inconfortable. On peut voir sur le tableau Le concert de Valentin de Boulogne un cornet courbé à droite tenu par un instrumentiste gaucher :

Valentin de Boulogne dit Le Valentin, 1594-1632, Concert, (1628-1630 ?), Ecole Française, 1ère moitié 17e siècle, Paris, Propriété de l'Etat, Musée du Louvre Peintures, Toile 1.75 m x 2.16 m, INV 8252 :

Bien sur l'instrument semble de petite taille ce qui facilite l'inversion des mains et comme le fait remarquer Nicolas Meeus :

" Pour ce qui est des croisements de main (main droite en bas sur un cornet courbé à gauche, et inversement), je pense qu’il faut se méfier de l’iconographie, souvent assez douteuse - on voit de même des tenues d’archet très fantaisistes. "
Nicolas Meeus (musiSorbonne@cines.fr)

John McCann confirme cette opinion dans "Snakes, trees and flames : a discussion of venetian curved cornett decorations" in The historic brass society journal de New York (p.101-107) :

" The form of the curved cornett reflects its descent from hunting horns and fingerhole horns fashioned from cow and similar-shaped horns. Most cornetts and cornettini are made in this slightly curved shape, which not only evokes their origin but also facilitates playing by better placement of the fingerholes under the lower hand. This disregards the direction of the curve and the question of which hand is placed uppermost on the instrument. The renaissance high-pitch cornett (a=c. 465 Hz.), somewhat shorter than a modern-pitch instrument, could be played with either hand in the uppermost position (though it is easier to play a rigth-curved instrument with the right hand in the lower position)4. Paintings reflecting left hand down on a rigth-curved instrument and right hand down on a left-curved instrument are sometime sees, but artistic considérations seem predominant in such cases5. The high proportion of extant left-curved original instruments poses an interesting question.

4. Kirk, 'Cornetti and performing Pitch', which thoughtfully explores the question of Italian pitch. Surviving Venetian cornetti seem to fall into two groups : There are a few
tutto punto instruments with a mean pitch of around 487,4Hz and a larger group of mezzo punto instruments with a mean pitch of around 469,7 Hz, about a half-step below tutto punto and about a half-step above modern a=440 Hz. (These pitches are derived from clusters of instruments of about the same length and should be considered approximate.)
5. See painting of cornett player and another person by G.B.Morone, c.1526-1578, in the Galleria Capiolina, Rome, and painting 'The concert', by R.Valentin, c. 1620-1622, Louvre, Paris, which show cornett players with their hands arranged artistically rather than to suit the curve of the instrument.
 "

" La forme du cornet reflète son héritage du cor de chasse, du cor avec perce, fabriqué à partir d'une corne de vache, et d'autres cors de formes similaires. La plupart des cornets et cornettini sont fait avec cette forme légèrement courbée qui n'évoque pas seulement leur origine mais facilite également le jeu par un meilleur placement des trous sous le main inférieure. Ceci indépendement de la direction de la courbe et de la question de savoir quelle main est placée la plus en haut de l'instrument. les cornets aigus de la renaissance (a=c. 465 Hz.), un peu plus court que les instruments d'accord moderne, peuvent être joués avec nimporte quelle main placée la plus en haut (bien qu'il soit plus aisé de jouer sur un cornet courbé à droite avec la main droite placée en bas)4. Les peintures représentant la main gauche en bas sur un instrument courbé à droite et la main droite en bas sur un instrument courbé à gauche sont visibles quelquefois, mais les considérations artistiques semblent prédominantes dans de tels cas5. La grande proportion d'instruments originaux existants courbés à gauche pose une intéressante question.

4. Kirk, 'Cornetti and performing Pitch', qui explore systématiquement la question de l'accord Italien. Les cornets vénitiens survivants semblent se répartire en deux groupes : Il y a quelques instruments
tutto punto avec une hauteur moyenne de 487,4Hz et un groupe plus larges d'instruments mezzo punto avec une hauteur moyenne d'environ 469,7 Hz, environ un demi-ton en dessous des tutto punto et environ un demi-ton au dessus des modernes à a=440 Hz. (Ces hauteurs sont déduites de groupes d'instruments d'approximativement la même longueur et doivent être considérée comme approximatives.)
5. Voir la peinture d'un joueur de cornet et d'une autre personne par G.B.Morone, c.1526-1578, dans la galerie Capiolina, Rome, et la peinture 'Le concert', par R.Valentin, c. 1620-1622, Louvre, Paris, laquelle montre des joueurs de cornet avec leurs mains placées artistiquement au lieu d'être conformes à la courbe de l'instrument.
 "

Il pense que les peintures représentant des musiciens avec la main gauche en bas sur un cornet droitier, ou l’inverse sont uniquement dues à des considérations esthétiques. Pourtant lorsque l'on tente de reproduire la position des musiciens, la tenue de l'instrument ne semble pas si fantaisiste voire même possible. Ces peintures suggèrent également quelque chose d'intéressant : On peut remédier à l’inconfort de la position des mains par la position de l’embouchure. En changeant la position de l'embouchure sur les lèvres, on peut faire disparaître la tension musculaire qui provoque des douleurs dans les épaules lorsque l'on inverse les mains et que l'on contredit la courbure. Nous explorerons cette possibilité en détail dans la partie 1.3.2.

Comme le fait remarquer John McCann, il y a beaucoup de cornets gaucher en " taille de cornet " : peut-être est-ce dû au hasard de la recherche mais il est possible que cela soit lié au fait qu’une contradiction position/instrument serait beaucoup plus inconfortable sur un instrument de cette taille...

Deux cornets altos gauchers du 17ème provenants d'Italie (conservés au musée de la cité de la musique) :

Les gravures de Claude de La Ruelle, visibles dans La musique en Loraine de A.Jacquot (fig. 17 et 19) et réalisées lors des obsèques de Charles III en l'église St George (17/07/1608), montrent deux tribunes de musiciens placées à gauche et à droite au jubé de l'église. On peut y voir trois cornets gauchers tenus par deux musiciens gauchers et un droitier, et cinq cornets droitiers tenus par trois musiciens droitiers et deux gauchers. Même en considérant que les gravures ont pu être inversées (en miroir), on voit qu'il y a des cornets dans un sens ou dans l'autre et que certains musiciens n'hésitent pas à contredire la courbure de l'instrument. Les réserves exprimées par Nicolas Meeus et John McCann nous rappellent qu'il est difficile de se fier à l'iconographie, cependant la finesse des détails et la façon dont l'artiste à représenté méticuleusement chaque instrument laisse penser que la contradiction des mains sur l'instrument était réellement pratiquée.

Gravures de Claude de La Ruelle, visibles dans La musique en Loraine de A.Jacquot (fig. 17 et 19) :

1.2.3. Soprano (465 Hz) et cornettino : position inversée possible sans inconfort

Sur les cornets à 465 Hz de la renaissance, plus courts que les cornets modernes, la main droite semblait pouvoir être placée indifféremment en haut ou en bas. En effet la petite taille de l'instrument évite une trop grande torsion des poignets pour tenir l'instrument. De plus, sur les instruments plus petits comme les cornettino la courbure est bien moindre que sur les instruments de grande taille.